Les anguilles argentées du Lac de Grand Lieu sont suivies par marquage acoustique depuis 2016. Les premiers résultats montrent les difficultés des anguilles à s’échapper du lac rejoindre l’estuaire de la Loire et l’Océan atlantique.
Article publié dans Paroles de Migrateurs N°15.
Le Lac de Grand Lieu est le plus grand lac naturel de plaine français : Sa surface en eau varie de 3900 ha en été à plus de 6000 ha en hiver et sa profondeur ne dépasse pas 4 mètres. Il est idéalement placé à 30 km de l’estuaire de la Loire qui reçoit la majorité des civelles atteignant les côtes françaises.
Comme la plupart des zones humides littorales et des milieux profonds, la contribution du Lac de Grand Lieu à la production totale d’anguilles argentées et au potentiel de géniteurs migrant vers l’océan est sous-estimées par les modèles d’abondance basés sur les pêches électriques en cours d’eau comme, par exemple, Eel Density Analysis (Briand et al , voir Paroles de Migrateurs n°11). Cette étude a ainsi pour objectif d’obtenir des données de production d’anguilles argentées sur le lac de Grand Lieu et leur devenir jusqu’à la Loire. Deux méthodes complémentaires sont ainsi mises en oeuvre, une par capture-marquage-recapture (CMR) au moyen de marquage au PIT Tag et une par marquage acoustique permettant de suivre les déplacements des anguilles. Couplé à cela, le suivi des recaptures par la pêcherie professionnelle pendant la période de pêche réglementaire et le suivi acoustique jusqu’à l’estuaire de la Loire permet également d’estimer le taux d’exploitation de la pêcherie et l’échappement des anguilles argentées vers l’océan. En 2016/2017, l’installation d’un maillage d’hydrophones (récepteurs acoustiques) dans le lac a permis de reconstituer les déplacements individuels des anguilles argentées équipées d’un émetteur acoustique, à la recherche de la sortie vers l’estuaire.
Ce projet est porté par le Museum National d’Histoire Naturelle (MNHN) et financé par la Région Pays de la Loire et l’Agence de l’Eau Loire-Bretagne dans le cadre de l’appel à projets annuel “Pêche et Aquaculture” régional. Le suivi est mis en oeuvre par le bureau d’études FISH PASS, le MNHN et le SMIDAP en collaboration avec les pêcheurs professionnels de Grand-Lieu et de Loire-Atlantique. Les pêcheurs ont été accompagnés lors de leurs sorties afin de relever les quantités d’anguilles pêchées par engin, leur localisation et les caractéristiques biométriques des anguilles pêchées (taille, poids, taux d’argenture, sex-ratio,etc.) et les recaptures d’anguilles marquées.
Des mâles en mauvais état
Les anguilles capturées à Grand-Lieu sont majoritairement des mâles (85%) et en mauvais état sanitaire : Elles présentent souvent des blessures (81%), des érosions mineures (43%) et des kystes dans les nageoires (35%). Les érosions peuvent être créées par les verveux et le stockage en viviers, ainsi que par les oiseaux piscivores. Les autres pathologies observées peuvent être liées à des infections bactériennes ou la présence de métaux lourds dans les sédiments. Les anguilles argentées de Grand-Lieu sont également, pour la plupart, parasitées par Anguillicola crassus (74%). Au total, seul 3% des individus ne présentaient aucune dégradation de la vessie natatoire par ce parasite. Ces résultats sont proches des observations faites sur les anguilles argentées de la Loire et sont de nature à affecter significativement le succès de leur migration de reproduction.
Chercher une anguille…
Sur l’ensemble du réseau d’hydrophones en 2015/2016 il y a eu 64978 détections. Sur 51 anguilles marquées, 10 ont été repêchées par les pêcheurs (19,6%), 18 sont sorties du lac vers l’estuaire (35,3%), 23 sont restées dans le lac dont 19 n’ont jamais été détectées par un hydrophone.
Les résultats de cette première année de suivi mettent en évidence la production importante d’anguilles argentée, estimée entre 177 000 et 250 000 individus, soit environ 8,35 kg/ha. Leur taux de croissance atteint 10 cm par an et le renouvellement des générations est rapide (les mâles devenant argentés plus tôt que les femelles).
Mais de ce potentiel de géniteurs, seulement 35% sortent du lac pour rejoindre la Loire puis l’océan. 20% sont capturés par la pêcherie professionnelle. Les anguilles restantes (45%) ne sont ni sorties du lac ni repêchées par les verveux, il est alors impossible de suivre leur parcours.
18 anguilles ont trouvé la sortie
Les anguilles relâchées se déplacent aléatoirement dans le lac, jusqu’à ce qu’elles reçoivent des signaux environnementaux les poussant vers la sortie : elles sont par exemple sensibles à l’élévation du niveau d’eau (explique 24% des comportements observés). Une élévation du niveau d’eau de 8cm par jour semble nécessaire pour leur permettre de rejoindre la sortie. Leur déplacement est également lié à la lumière, il est favorisé par la nuit et la lune descendante, l’anguille cherchant ainsi à éviter ses prédateurs. Pour qu’elles franchissent la vanne séparant le lac de l’Acheneau, l’ouverture cumulée de l’ensemble des vannes du lac doit dépasser 70 cm afin de ne pas créer de barrière répulsive. Si chaque vanne est ouverte de 60cm, l’ensemble des anguilles se présentant à l’ouvrage passent sans retard vers l’Acheneau. Ces informations permettront d’améliorer la gestion du vannage pour l’adapter au franchissement des anguilles, par exemple en ouvrant une seule vanne sur une hauteur plus importante afin d’optimiser le courant d’attrait.
Une fois sorties du lac, ces 18 anguilles ont atteint la Loire (au bout de 4 jours pour la plus lente) après avoir traversé l’Acheneau (13,4h en moyenne), puis le canal de la Martinière. Mais pour les anguilles qui ne sont pas sorties du lac, impossible de connaître leur destin. Elles ont pu différer leur migration ou mourir dans le lac de mort “naturelle” ou par prédation, bien que leur taille importante >70cm en moyenne, n’en font pas des proies fréquentes pour les hérons, les cormorans, les brochets ou les silures.
Un suivi à la trace en 2017
Pour la campagne 2016-2017, les efforts de suivi se sont concentrés au sein du lac : un réseau dense d’hydrophones permet de mieux comprendre les comportements des anguilles dans le lac (80 hydrophones) et jusqu’aux exutoires. Au total, 467703 détections acoustiques ont été analysées sur l’ensemble des hydrophones.
Les trajectoires des anguilles au sein du lac ont pu être suivies par triangulation des détections sur le réseau d’hydrophones du lac. Ces trajectoires sont très diverses en fonction des individus (certaines ont parcouru au total 100 à 270 km !), mais les déplacements ont lieu principalement la nuit et toutes les zones du lac ont été visitées par au moins une anguille marquée.
Les errements des anguilles dans le plan d’eau sont directement liés à la fermeture du lac de Grand Lieu dans des conditions hydrauliques défavorables des années 2016 et 2017. En effet, le niveau du lac au mois de février 2017 n’avait jamais été aussi bas depuis la construction du vannage, qui est resté fermé depuis le 28 juin 2016. Ces années sont vraisemblablement “particulières” vis-à-vis des conditions climatiques et les suivis prévus sur les années suivantes permettront peut-être d’observer un meilleur échappement à l’occasion de crues automnales plus marquées, cependant il est à craindre qu’à moyen terme ces années extrêmes deviennent plus fréquentes avec le réchauffement global du climat. L’analyse des trajectoires par le MNHN se poursuit afin d’identifier les phénomènes environnementaux qui favorisent leur migration.
Par la combinaison des marquages PIT-tags et acoustiques, cette étude a mis en évidence l’importance fondamentale de la gestion des niveaux d’eau du lac de Grand-Lieu sur l’échappement des anguilles jusqu’à la Loire, qui s’effectue au moment de fenêtres favorables très précises, en synchronisation avec l’ouverture des vannes de l’ouvrage de Bouaye.