Dévalaison sur la Vienne : arrêts de turbinage temporaires pour les anguilles dans l’attente de l’aménagement des usines hydroélectriques

Les effectifs d’anguille européenne ont chuté de 90 % en quelques décennies. En 1999, l’anguille a été reconnue par le CIEM1 comme « en dehors de ses limites biologiques de sécurité ». Elle est également classée comme en danger critique d’extinction dans la liste rouge de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) depuis 2008.

En 2007, un règlement européen sur l’anguille impose à tous les états membres la réalisation de plans de gestion comprenant des mesures en faveur de la sauvegarde de l’anguille. Celui-ci prévoit, notamment, d’atteindre un taux d’échappement d’anguilles argentées (futurs géniteurs dévalant pour se reproduire) de 40 % par rapport à une production sans impact anthropique. En France, une Zone d’Action Prioritaire (ZAP) pour l’anguille est également instituée dans tous les bassins versants : celle-ci permet « d’identifier les portions où des gains biologiques importants sont possibles dans les 6 ans si les ouvrages sont aménagés. »

Située ente 200 et 300 km de la mer, la Vienne aval constitue un secteur attractif pour l’anguille. A la station de comptage de Châtellerault, les comptages d’anguillettes en migration de montaison vers les zones de croissance ont évolué très positivement depuis 2016, jusqu’à atteindre 17 500 individus en 2021. Ceux-ci sont notamment imputables au meilleur recrutement en anguillettes observé en 2013 sur la Loire et aux augmentations successives du front des individus de moins de 30 cm qui ont suivi en 2016 et 2019.

Les connaissances acquises sur le bassin de la Loire montrent que les anguilles dévalent, à ce niveau du bassin, à l’âge de 6 à 7 ans, soit entre 3 et 4 ans après leur passage en montaison à Châtellerault. Ainsi, les dévalaisons de ces anguilles ont démarré dès 2021 et seront importantes de 2024 à 2025.

La Vienne de sa confluence avec la Loire jusqu’à l’ouvrage de Chardes est classée pour la continuité écologique au titre de l’article L.214-17 du Code de l’environnement en liste 2 (anguille, saumon atlantique, truite de mer, grande alose, lamproie marine et espèces holobiotiques). Ce secteur de la Vienne est également inclus dans la ZAP anguille et les ouvrages sont listés en tant qu’Ouvrages à Enjeux Essentiels du PLAGEPOMI Loire, Sèvre niortaise et côtiers vendéens.

Trois usines hydroélectriques sur quatre, situées entre le complexe infranchissable de l’Isle-Jourdain et la confluence avec la Creuse, ne sont pas équipées de systèmes permettant l’évitement des turbines à la dévalaison ou de turbines ichtyo compatibles. La modélisation réalisée par Briand et al. (2015) montre que ces trois usines figurent parmi les dix plus impactantes du bassin de la Loire au regard de la dévalaison des anguilles en rapport avec la production amont. L’usine de Châtellerault entraîne la plus forte mortalité du bassin de la Loire.

Par ailleurs, la Vienne aval est colonisée par les géniteurs de lamproie marine et d’aloses, les juvéniles de ces espèces sont donc également concernés par les mortalités à la dévalaison dans les turbines.

Pour ces raisons, début 2021, LOGRAMI, appuyée par l’EPTB Vienne et l’OFB, a réalisé une démarche auprès de l’administration afin de demander que les enjeux anguille, mais aussi juvéniles de lamproie et d’aloses à la dévalaison, soient rapidement pris en compte et que la réglementation soit appliquée. L’objectif étant que les usines soient rapidement équipées afin de permettre la dévalaison des poissons migrateurs avec un minimum de perte.

L’urgence à agir et la prise en compte des durées nécessaires aux aménagements ont également poussé LOGRAMI a demandé des arrêts de turbinages temporaires d’urgence afin d’épargner un maximum d’anguilles en dévalaison dans l’attente des aménagements.  

Effectifs d’anguilles en montaison et situation des usines hydroélectriques sur la Vienne aval

Le 16 décembre dernier, trois arrêtés pour les trois usines ont été pris par la DDT de la Vienne pour une durée de trois ans, le temps de réaliser les aménagements, seule solution pérenne pour préserver les poissons migrateurs lors de leur dévalaison. Ils instituent un maximum de 5 arrêts temporaires de turbinage sur deux nuits consécutives durant la période de dévalaison des anguilles (octobre à mars). Les anguilles dévalant de nuit et lors de « coups d’eau », la règle de déclenchement des arrêts est basée sur une augmentation du débit moyen journalier par rapport aux débits des jours précédents.

L’augmentation du débit nécessaire au déclenchement des arrêts et la durée de ceux-ci sont différents de la proposition initiale de LOGRAMI. Nous établirons une comparaison de l’efficacité des mesures d’urgence et ferons un bilan à l’issue des premiers mois d’application de ces arrêtés.


1Conseil International pour l’Exploration de la Mer