Les poissons amphihalins face au changement climatique

Afin d’étudier l’influence du changement climatique sur les populations de poissons amphihalins en France, 30 années de données collectées à 46 stations de comptage en France ont été analysées dans le cadre de la thèse de Marion Legrand (Soutenance de thèse le 8 avril 2021).

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Cet article est publié dans Paroles de Migrateurs n°20

À l’ensemble des pressions anthropiques que subissent les poissons amphihalins, s’ajoute celle du changement climatique. Ce dernier peut entraîner principalement 4 grandes modifications :

  1. un changement dans l’aire de répartition des espèces,
  2. la modification de moments-clés des cycles de vie des espèces,
  3. la modification du synchronisme spatial des populations,
  4. un déclin des populations.

Evolution contrastée des effectifs selon les espèces et les bassins-versants

À l’échelle nationale, certains taxons présentent une tendance claire vers un déclin des populations. C’est le cas des aloses (Grande alose et Alose feinte – Alosa spp.) et de la lamproie marine (Petromyzon marinus), tandis que les fluctuations d’effectifs du Saumon atlantique (Salmo salar) ne montrent pas de tendance et que celles de l’Anguille européenne (Anguilla anguilla >150mm) et de la Truite de mer (Salmo trutta) présentent une légère tendance à l’augmentation sur la période considérée (c.-à-d. 30 ans).

Les intervalles de confiance autour de la reconstitution de ces fluctuations sont cependant larges, indiquant des variations importantes entre les stations et les bassins-versants, sauf pour le déclin marqué des aloses durant les dix dernières années, indiquant une homogénéisation des réponses pour ces dernières.

Figure 1 : Évolution des effectifs de poissons amphihalins aux stations de comptage de France entre 1983 et 2017 (Source : Legrand et al., 2020 – KMAE)

Dans nos modèles, la latitude n’est jamais significative, ce qui ne permet pas de confirmer l’hypothèse selon laquelle les populations situées plus au sud connaissent des déclins plus marqués que les populations localisées au nord.

L’analyse des comptages à l’échelle nationale permet de dresser la tendance générale de l’évolution des effectifs de chacune des espèces amphihalines en France et de mieux pouvoir situer l’état des populations de chaque station, comparativement à cette tendance nationale.

Avancées des calendriers de migration de montaison

Pour l’ensemble des espèces étudiées (aloses, anguille européenne, lamproie marine, saumon atlantique et truite de mer) nous avons mis en évidence une avancée des calendriers de migration de -2,3 jours par décennie en moyenne, sauf pour la civelle (aucune tendance détectée). Bien que la tendance générale soit à l’avancée des dates de migration des poissons amphihalins en France, les résultats sont contrastés entre les taxons avec d’une part les aloses, le saumon atlantique, la truite de mer et l’anguille jaune montrant des avancées marquées de leur date médiane de migration anadrome (-3,7, -2,9, -2,6 et -1.9 jours/décennie respectivement – Fig 1), et d’autre part la lamproie marine et la civelle qui ne montrent que peu voire pas de modification dans leur calendrier de migration (-0,2 et +0,08 jour/décennie respectivement). Parmi ces taxons, seules les aloses présentent des avancées contrastées entre la date de début et la date de fin de migration, avec la date de début avançant plus que la date de fin (-6,3 contre -1,4 jours/décennie), induisant ainsi un allongement de la période de migration de ce taxon (Legrand et al., 2020 – Freshwater Biology).

Figure 1 : Décalage en jour/décennie des calendriers de migration (date médiane) des espèces amphihalines aux stations de comptage de France (d’après Legrand et al., 2020 – Freshwater Biology)

Synchronisme faible à modéré à l’échelle nationale

Dans le contexte du changement climatique, l’étude des synchronismes existant entre différentes populations est important. En effet, si les effectifs des diverses populations d’une même espèce se synchronisent sous l’effet des paramètres environnementaux, cela entraine une augmentation du risque d’extinction de l’espèce.

En utilisant le jeu de données des stations de comptage, nous avons analysé le synchronisme existant au niveau des effectifs et des calendriers de migration. Nous mettons en évidence des synchronismes faibles à modérés (coefficient de corrélation compris entre 0,04 et 0,24 pour les effectifs et selon les espèces, et entre 0,08 et 0,3 pour les calendriers de migration).

Quelle que soit l’échelle spatiale considérée, le synchronisme des effectifs est toujours plus fort pour les aloses comparativement aux autres espèces, tandis que pour les dates de migration, il l’est pour la lamproie marine (Fig. 2).

Afin de s’assurer que le changement climatique n’induit pas une synchronisation croissante des effectifs, voire des calendriers de migration des espèces, il serait intéressant d’analyser à nouveau ce degré de synchronisme dans quelques années, et de comparer les deux résultats. De façon générale, les mesures de gestion permettant de limiter cette synchronisation consiste à diversifier au maximum les traits de vie des poissons, en veillant à diversifier au maximum les habitats d’accueil, à conserver les écoulements les plus naturels possibles dans les rivières, et à limiter au maximum les sélections anthropiques.

Figure 2 : Synchronisme des effectifs et des calendriers de migration pour les espèces amphihalines aux stations de comptage de France.